Free : un bloqueur de publicités et de nombreuses questions

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Christophe Lavalle
Dimanche 06 janvier 2013, 21:03
Cette semaine, un fait a très fortement agité la toile ainsi que de nombreux professionnels tant au niveau des sites web petit ou grand que d'entreprises qui vendent des services ou produits. Free a en effet introduit une nouveauté dans le dernier firmware de la Freebox Revolution : un bloqueur de publicités. Revenons ensemble sur cette décision qui semble plus politique qu'une réelle volonté de Free de supprimer la publicité du Web mais aussi sur les nombreuses questions qui en découlent...

La prise de position de Free : un coup de "force" dans sa guerre avec Google

Dans le dernier firmware (logiciel interne) 1.1.9 de la Freebox Revolution distribuée depuis jeudi, Free a décidé d'implémenter une nouvelle fonctionnalité : un bloqueur de publicités. Labélisée "béta", cette dernière est pourtant activée par défaut : c'est donc une prise de position très nette de la part de Free envers la publicité sur le Web.

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Cette prise de position pose plusieurs questions :
  • La neutralité d'Internet est-elle encore assurée par des FAI surpuissants ? 
  • Le modèle économique du Web est-il mis en danger ?
  • Free a-t-il le droit de prendre cette position seul et à l'encontre de tout un pan de l'économie sur sa simple personne ?
  • Est-ce bien normal qu'une telle option soit activée par défaut alors que le choix aurait pu être laissé à l'utilisateur ?
  • Est-ce bien normal d'activer une fonctionnalité labélisée "béta" sans avertir et expliquer les règles du jeux aux utilisateurs ?
Pour les deux dernières questions, les réponses sont simples : il n'est pas normal qu'une fonctionnalité labélisée "béta" soit activée par défaut sans communication à cause des impacts même qu'elle peut produire. Certains sites web détectent la présence d'un blocage de publicités avec pour conséquence une page qui reste blanche ou l'affichage d'un message. Monsieur et Madame lambda seront alors déconcertés sans savoir pourquoi cela arrive et comment résoudre ce problème. Surtout que le filtrage semble ne pas être optimal à l'heure actuelle. Quant à la fonctionnalité active par défaut, ce n'est pas à l'opérateur de faire ce choix : son rôle est d'assurer la connectivité à Internet en fournissant les moyens techniques nécessaires et de manière neutre. Cette option ne rentre pas dans ce cadre mais est comparable aux bloqueurs de publicités qui existent déjà depuis plusieurs années. Son activation par défaut n'est donc pas tolérable.

Prenons un exemple simple pour illustrer cette situation : c'est comme si un constructeur de télévision prenait seul la décision d'inclure un blocage de publicités actif par défaut. Les chaînes de télévisions auraient alors un manque à gagner avec à la clé des problèmes financiers pour produire des films, émissions, journaux d'informations etc. Certaines structures ne pourraient alors plus survivre dans ce contexte.

Là ou la décision de Free est intéressante, c'est que ce choix va les pénaliser tout autant que certains éditeurs : Free possède un portail duquel il tire des revenus. Monsieur Xavier Niel possède également des parts dans le journal Le Monde : l'impact premier à donc de multiples autres impacts y compris pour Free qui a pourtant pris cette décision. 

La décision de Free ne serait donc pas pour le "bien-être" des utilisateurs mais une décision politique. Pour trouver qui Free cherche à atteindre, regardons quelles régies sont touchées : principalement Google Adsense. Or, justement Free possède un différent avec Google sur les liens d'interconnexions (peering) pour Youtube mais également avec les autres services de Google comme Maps. Concrètement, les Freenautes utilisant Youtube saturent les liens de peering avec Google dont la conséquence sont des débits faméliques sur les versions HD et même normales des vidéos ainsi qu'une qualité variable du débit au cours de la journée.

Les autres opérateurs sont plus ou moins dans le même cas que Free mais au contraire de ce dernier assure quand même une qualité convenable et stable tout au long de la journée. Ils fournissent donc le service payé par chaque utilisateur qui possède un abonnement Internet. Free ne se donne pas cette peine, toujours à l'insu de l'utilisateur comme il prend aujourd'hui en otage les acteurs du web avec la censure des publicités Google Adsense et éventuellement d'autres régies. Le vrai visage de Free est bien celui-là : tout ce que Free propose/fait est principalement ce qui va dans son propre intérêt (l'analyse du cas Free Mobile confirmerait également ce point).

Même si l'information n'est pas encore officialisée, il serait possible que Free face un pas en arrière en supprimant cette fonctionnalité (ou en la désactivant par défaut) en début de semaine. Le moment choisi par Free aurait donc été après les fêtes de fin d'année et avant le début des soldes pour pénaliser un minimum l'économie du Web et des annonceurs. L'action et la prise de position de la part de Free pour ses propres intérêts ouvre cependant un débat qui risque fort de ne pas se refermer sans impacts. Le gouvernement souhaite d'ailleurs "comprendre" et l'ARCEP demande des explications tout en étudiant la légalité de ce dispositif.

La neutralité du Web et le rôle - trop important - des FAI en question


Cette prise de position de Free mets également en valeur un autre sujet qui fut au coeur des débats lorsque Hadopi et son arsenal de sanctions et moyens de protections ont été débattu il y a quelques années. Free - et les autres opérateurs dans une certaine mesure - avait alors insisté sur le fait qu'opérer un filtrage était bien trop complexe à mettre en place techniquement. Aujourd'hui, Free le fait pour ses propres intérêts.

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La boîte de Pandore est très certainement ouverte à partir de ce jour. Il serait très étonnant que le sujet du filtrage aussi bien par DPI que par DNS (méthode utilisée par Free) ne soit pas remis sur la table. En jeu, ni moins ni plus qu'un grand filtre qui pourrait nous priver de certains accès à certains contenus suivant le bon désir d'entreprises, associations, politiciens etc.

Surtout, la notion de neutralité du Web est remise en cause. Comment ne pas penser que les FAI - ou d'autres intermédiaires - demandent et effectuent une censure de ce qui ne va pas dans leur propre sens comme Free le fait aujourd'hui. Si mon collègue l'a fait, pourquoi pas moi ? Imaginons Free bloquer toutes les publicités à l'exception de celles en sa faveur. Imaginons un Web où toute opinion contraire à ce qu'il faut dire suivant son lieu de connexion sera censuré et/ou affiché.

Le rôle des FAI est aujourd'hui très important. Trop important. Cette importance découle du fait que ce sont eux qui mettent en place l'infrastructure technique et les tuyaux qui permettent les interconnexions tant au niveau national qu'international avec l'ensemble des acteurs. Cette importance devrait être régulée afin de garantir cette neutralité du Web aux utilisateurs même si cela ne va pas dans le sens des intermédiaires et des opérateurs.

Par exemple, les DNS (permettant de savoir où aller à partir d'une URL constituée de caractères et non d'une adresse IP moins facile à utiliser et retenir) devraient être décentralisées et gérées par une structure indépendante et commune à tous les opérateurs. Peut-être même pilotée par une gouvernance mondiale si les différents acteurs s'entendent. Mais cette concentration ne résout pas tous les problèmes car si cet organisme est corrompu, alors le filtre affectera un plus grand nombre d'internautes - voir tous - d'un seul coup. Et on ne parle pas ici du filtrage DPI qui pourrait continuer à être appliqué par tous les différents acteurs s'ils le désiraient. Mais un cadre juridique plus contraignant manque cruellement...

Internet : un modèle économique en question...

Le monde change sans arrêt et ce sont ces changements qui permettent de nous renouveler ainsi que notre environnement. Aujourd'hui, et depuis quelques années déjà, la toile est en train de "muter". La publicité est un élément clé pour assumer les coûts d'infrastructure - et éventuellement de licences - des sites web.

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Depuis la montée en puissance des téléphones intelligents, ce modèle économique n'est plus aussi viable. La surface d'affichage étant en diminution, le contenu doit être adapté pour que les utilisateurs prennent plaisir à venir visiter un site web. La place disponible étant réduite comparé à celle disponible sur un écran d'ordinateur, le format des publicités doit être revu. Mais revoir le format est souvent insuffisant : la place qu'elles occupent est trop souvent au détriment de l'ergonomie et du design, et donc impact directement le plaisir de l'utilisateur de venir consulter le site depuis son téléphone. 

Les applications ont donc pris la relève pour certain éditeurs qui ont les moyens de réaliser un tel développement mais cela ne garanti pas encore que l'utilisateur prendra plaisir à utiliser l'application permettant l'accès à l'information publiée. La place disponible ne varie pas et bien souvent les bannières de publicités restent un élément que les éditeurs veulent placer dans les applications. Même si les possibilités sont plus grandes que sur un site web, cela impact toujours directement le plaisir d'utiliser l'application et donc d'accéder à l'information publiée par un site web depuis son téléphone.

Enfin, le marché est centré autour de quelques acteurs seulement dont le plus connu est Google Adsense. Cette concentration combiné à la dilution des utilisateurs au travers des différents matériaux d'accès au Web - dont les tablettes et téléphones - provoque une baisse de rémunération avec une baisse des barèmes de paiement au nombre de vus ou aux clics des publicités. Nous touchons là peut-être à la limite du modèle actuelle.

... mais qui tente doucement d'évoluer 

Ces deux dernières années, nous apercevons une évolution du modèle économique du Web. Devrais-je peut-être dire l'émergence d'un deuxième modèle économique qui vient se positionner à côté de l'existant afin de proposer un choix à l'internaute : un accès gratuit subventionné par la publicité affichée ou l'abonnement payant (durées variables avec des prix avantageux plus la durée est longue). Dans ce dernier cas, l'utilisateur peut alors désactiver l'affichage de la publicité sur le site web via une option de son compte ou alors continuer à l'afficher (avec différents niveaux de granularité parfois) s'il souhaite continuer à le supporter via ce moyen en plus de son abonnement. 

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Ce modèle économique est positif sur bien des aspects et permet un choix à l'utilisateur sans pour autant mettre en danger l'existence du site web. Dans les prochaines années, ce modèle va probablement être proposé par de plus en plus de sites web. Cela amène toutefois une nouvelle question : Internet n'est-il pas un lieu de partage d'informations qui doit être gratuit et ouvert de par sa définition ?

Probablement si l'on suit la définition même d'Internet. Mais cette définition du Web se heurte à la réalité et il faut savoir l'adapter pour la faire perdurer le plus longtemps quand cela est possible. La publicité est un moyen d'assurer une relative gratuité des contenus, l'abonnement ne doit donc pas devenir la seule source d'accès à l'information sous peine de rendre le Web fermé et contraire à sa vocation première.

Aujourd'hui, la publicité a pris une place importante, peut-être trop. Pour contrer la baisse des revenus, de nombreux éditeurs mettent en place une publicité de plus en plus intrusive : popup lors de l'accès au site web, vidéos sonores qui démarrent automatiquement, publicités envahissante lorsque la souris passe au-dessus etc. Une utilisation raisonné de la publicité doit avoir lieu, afin de ne pas lasser les utilisateurs et en arriver à ce qu'une position comme celle que Free a prise soit soutenu et même souhaité par de nombreux internautes qui n'en peuvent plus.

Ce constat est identique pour les sites web optimisés pour les téléphones ou même les applications mobiles. Trop de publicités va inciter l'utilisateur à aller voir ailleurs (chute d'audience) ou alors à ne plus considérer le travail de l'éditeur à sa juste valeur. Le piratage devient alors un moyen de contourner ce problème tout comme l'utilisateur de bloqueur (en général, pas que celui de la Freebox Revolution) de publicité. Et ce, sans contrepartie. Une utilisation raisonnée peut au contraire fidéliser l'audience voir même permettre de la développer via la mise en avant de services payant ou semi-payant (publicités et/ou abonnements) via un portail qui sera agréable à utiliser sans, ou avec peu, de publicités.

Une prise de conscience des éditeurs est nécessaire. Elle commence doucement mais, le chemin qui reste à parcourir est encore long. Le Web seul ne permet pas - ou à peu de monde - de dégager d'énormes marges et cela ne doit pas être le but premier. Le Web permet d'exposer quelque chose qui lui sera valorisé par la suite telle une vitrine. Ce n'est pas l'audience d'un site de ventes en ligne qui rapporte : ce sont les ventes réalisées.  Ou alors, le site web doit avoir une forte valeur ajoutée pour qu'à lui seul il dégage une marge importante.

Mais l'utilisateur a également du chemin à parcourir de son côté pour reconnaitre la valeur du travail.  

La gratuité : un fléau de la société actuelle ?

Pour conclure, ce qui s'est passée cette semaine soulève de nombreuses questions qui vont bien au-delà du débat premier. La première d'entre elle recoupe d'autres sujets d'ailleurs dont notamment celui du piratage en masse qui sévit aujourd'hui. Le pirate n'a certes pas que des effets négatifs, mais les effets positifs - souvent de découverte - résultent plus d'un besoin qui n'est pas pris en compte par toutes les entreprises. La véritable question sous-jacente est celle-ci : la société a-t-elle un problème avec la reconnaissance de la valeur du travail ?

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Nous pourrions disserter des heures sur cette seule question, toutefois elle reflète bien notre problème : nous désirons tout avoir pour le moins chère possible, voire gratuitement. Ce qui n'est pas possible dans un magasin le devient sur Internet ou nous n'avons pas de caisses à la sortie d'un site web pour payer ce qui est consommé. Or, cela représente du travail tout comme l'écriture d'une chanson ou d'une bande sonore ou encore le développement d'un logiciel/service/site web. Tout parait si facile, si simple mais cela est le résultat de nombreuses heures/jours/semaines/mois/années de travail. 

Par les problèmes qui entourent aujourd'hui Internet, le réel visage de notre société se dévoile au profit d'un anonymat - tout relatif - qui découle de l'usage de ce moyen de communication. Aucune barrière, aucune règle, aucune frontière n'existe. Peut-être le paroxysme de la société de consommation ou tout devient possible même si nous n'en avons pas moyens ni même l'intérêt. 

Je n'oublie pas les bienfaits qui sont eux aussi nombreux et à prendre en compte dans ce débat : l'accessibilité permet des découvertes et la culture peut librement (à quelques exceptions) circuler pour celui que cela intéresse. Cela permet également aux peuples de s'ouvrir au monde et de communiquer pour faire changer les choses (certaines dictatures sont tombées). Mais les défauts d'Internet mettent aujourd'hui bien plus en valeur les défauts de notre société.

Que pensez-vous de tout cela ?

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